27 septembre 2008

UK 1969: The Football Express


L’évolution des sports de ballon en général, et du football en particulier, à toujours été, chronologiquement parlant, étroitement liée à la violence. Il n’est pas illogique d’inscrire le football dans la continuité des jeux anciens où certains comportements des foules nécessitaient la prise en compte de mesures sociales particulières: maintient de l’ordre, interdiction de stade etc…Une des premières traces se trouve dans les écrits de Tacite relatant la rixe de Pompéi en 59 après J.C. Lors d’un spectacle de gladiateurs regroupés en 2 formations distinctes, des affrontements entre spectateurs des colonies de Pompéi et de Nucérie firent de nombreux blessés, au point que les Pompéins furent interdits de manifestations sportives et les associations dissoutes.

Curieusement, « l’esprit » du football, avec sa genèse vers la moitié du XIX ème siècle, est lui-même lié à la violence (selon les 2 explications britanniques les plus répandues). La première en attribue la paternité aux industriels des bassins miniers des Midlands qui, soucieux de voir leurs ouvriers distraits par des conditions de travail accablantes, cherchèrent à développer cette activité susceptible de canaliser leur attention, et de les défouler une fois le week-end venu. La seconde est à mettre au compte des recteurs de l’université d’Oxford qui voulurent imaginer une activité physique intense capable de canaliser les élèves les plus agités. Sur les stades des bagarres de plus en plus fréquentes accompagnaient les matchs anglais depuis la fin du XIX ème siècle. Mais la Grande-Bretagne des années 60 voit émerger une nouvelle forme de violence qui n’est plus en relation avec des résultats sportifs ou des évènements répondant au schéma " frustration-agression", mais à une violence organisée, et très souvent en groupe. Les violences qui se donnent à voir dans ou aux abords immédiats des stades semblent moins spontanées. Elles ne trouvent plus forcément leur origine dans le jeu, le résultat du match, ou dans l’arbitrage. Ces épisodes fréquents de rixes marquent le passage d’une violence propre à la culture des spectateurs de football, à une violence motivée par des réflexes culturels.

Selon A. Wahl, historien britannique du football, le hooliganisme est avant tout une conséquence de la modification économique au sein du sport roi. L’Angleterre de la fin des années 50’s et du début des 60's voit en effet 14% de sa population vivre en dessous du seuil de pauvreté, n‘arrivant plus à juguler chômage et inflation. Le football voit d’autres sports (plus abordables) se démocratiser, et les stades connaissent alors une baisse de fréquentation inquiétante. Sous l’impulsion de Margaret Thatcher, préconisant une sortie de crise au prix de la politique du « libéralisme strict », les responsables du football britannique entendent résoudre ce problème de désaffection en optant pour la spectacularisation du jeu, à travers la professionalisation des joueurs, l’apparition de campagnes publicitaires massives, une amélioration du confort des tribunes, mais aussi par une transformation des stades. La démocratisation du football, sa diffusion à toutes les couches de la population, et ces nouvelles places disponibles dans les stades entraînent l’apparition de publics différents, moins connaisseurs, socialement plus aisés... Ce nouveau football bouleverse les valeurs établies. D'un sport de classe il se transforme petit à petit en produit de consommation.

Selon Bourdieu (dans ses « Travaux de Bourdieu ») c’est encore dans la mutation du facteur économique que germera le hooliganisme. Logique: soucieux de préserver l’ambiance au sein de leurs enceintes, les responsables des clubs décident de consacrer une partie de leurs stades à un public populaire, issu de la classe ouvrière: les virages. Brombergé explique qu’en offrant des billets bon marché, les présidents encourageront un regroupement massif de jeunes qui s’approprieront leur virage, rendant autonomes ces parties de stade.

Ainsi les virages deviennent le territoire de jeunes lads se liant en fonction du club qu’ils soutiennent, de leur quartier de naissance, ou de leur « rought-culture » d’appartenance (rude-boys, skinheads…) Tous désireux d’avoir, eux aussi, accès à la vitrine professionnelle du sport qu’ils pratiquent en club ou entre potes depuis l’enfance. Enfin, tous désireux de former ensemble la « firm » (bande) représentant le club de leur cœur sur les gradins. Germe alors un mouvement de culture de la rivalité, où le virage devient un mode de construction identitaire, en opposition au parcage visiteur. Le hooliganisme est né…

Aux 4 coins de la Perfide, et à Londres à particulier, des regroupements de youngs prospérant dans leur chaos s’opèrent en direct. A cette époque, difficile toutefois de parler de « firm » au sens nominatif du terme, et dans l‘organisation aussi. Dans les clubs de première et deuxième division, les rassemblements (principalement de jeunes skinheads blancs) bourgeonnent en donnant naissance à un mode de vie sous forme de meute. Les skinheads & co deviennent artistes dans ce qui sera le jeu d‘un pays tout entier: aller au stade en bande pour prendre possession du virage adverse…

Dès 1968, le journaliste Lord Harrington met en évidence dans son rapport, que les hooligans arrêtés et interrogés sont tous d’authentiques supporters de leur équipe, jeunes et érudits, possédant une solide connaissance du football, des joueurs, et une majeure partie d’entre eux vient au stade en portant des insignes caractéristiques de leur clubs respectifs. Cette étude aurait alors pu trancher sur un fantasme qui perdure aujourd’hui: le hooliganisme est principalement le fait d’authentiques supporters de football, mêlant sport avec territoire. Pour E. Erhenberg, l’obsession à marginaliser le phénomène est claire. Il s’agit d’abord, pour le football, de garder une image de sport propre, mais également de s’affranchir de toute responsabilité morale, concernant le fait d’avoir suscité la venue d’un nouveau public et de l’avoir sciemment (ou non) laissé commettre des délits. Ensuite, de se dégager de toute responsabilité financière et morale pour les infractions commises, notamment vis-à-vis d’investisseurs ou des assureurs.

Dans le courant des années 70’s, de Swansea à Portsmouth, de Bristol à Manchester, en passant inévitablement par Liverpool où Londres, chaque club possède désormais une bande organisée, affairée à la défense de son territoire. Légende vivante des gradins anglais, et jadis meneur du « Mile-End» puis de l’ « ICF » de West-Ham, Cass Penant évoque une révolte des jeunesses de la classe ouvrière, entraînant des centaines d’ados (ayant à l’époque de 12 à 20 ans), dans un univers où chaque groupe cherche la reconnaissance en s‘opposant violemment, ou en envahissant les terrains, en affichant sa supériorité et en cherchant à conquérir le virage adverse. Le phénomène est d’autant plus accru à Londres du fait de la proximité géographique extrême entre chaque club. Les différentes bandes se livrent chaque week-end à un véritable championnat parallèle, dans des affrontements multiples, encore circonscrits dans les gradins ou dans leurs alentours directs.

Dans les 70's il est encore difficile de parler d’une véritable culture hooligan, tant du point de vue musical, que vestimentaire ou du langage . Celle-ci est plutôt la somme du mélange entre plusieurs autres mouvement de l'underground, mouvement skinhead en particulier. Mélange, dont le point de chute sportif donnera naissance au fil des années, à une culture hooligan à part entière.

Au pouvoir à la même période, M. Thatcher s’emploie à redresser coûte que coûte l’économie du pays, fût-ce au détriment des classes ouvrières et au prix de la fracture sociale qui s’installe. Les mesures économiques et sociales drastiques prisent à l’encontre de la working-class ont plaçé sous contrôle la prolifération du hooliganisme. La brutalité du projet Thatchérien, qui ambitionnait de l’effacer culturellement et socialement au moyen d‘une répression féroce, libéra en fait des facteurs puissants aboutissant à l’apparition début 80’s d’un hooliganisme "repensé"-plus discret et organisé, abandonnant les influences culturelles de mouvements trop voyants... au profit de l‘émergence, ou résurgence (si l‘on s‘en fit à ses premiers acteurs Victoriens ou Mods) d‘une culture en plein essor: le mouvement « casual ».

Ne restait plus qu’à contaminer l’Europe entière...
Depuis lors pas moins de 3 décades se sont écoulées. Et à défaut d'avoir pu concrètement enrailler le nombre d'incidents ou d'arrestations, les autorités Britanniques ont au moins su faire respecter leur stratégie médiatique, interdisant aux services médias de communiquer sur la fréquence des rixes entre bandes rivales. Tout porterait à croire que l'histoire marriant football et débordements n'est pas prête de s'arrêter...