19 juillet 2008

Vivre en travaillant, mourrir en combattant (Canuts Artfacts)



Chant des Canuts, 21 et 22 Novembre 1831, lorsqu'ils étaient maîtres de la ville:

"Pour braver l'oppression,
Courant sans crainte à la victoire,
se battant sans manger ni boire,
Voila l'artisan de Lyon.
Voila, voila l'ouvrier de Lyon!

Soie ondoyante,
Laine ravie aux doux agneaux,
Qui devenez par nos travaux,
Vêtements, parure attrayante,
Mais souvent nous et nos fils,
Nous n'avons pas d'habits!

Age mûr,vieillesse, enfance,
Tout le monde combattait,
Le moment de la vengeance
Pour les artisans sonnait
Et chacun les admirait.
Puis l'ordre et l'indépendance
Régna dans notre cité.
Qui sut vaincre aux 2 jours aime la liberté.

Des "Trois Glorieuses Prolétariennes" de Novembre 1831 à "la sanglante semaine d'avril" 1834, les deux insurrections des Canuts de Lyon sont restés dans l'histoire comme les premières luttes ouvrières.

"1848 n'inventa rien, écrivit l'historien Daniel Halévy. 1830, au contraire-et les trois années qui suivirent à Lyon-marque la vrai crise, l'initiative des mouvements. A Paris on débat de l'invention des idées dans les cénacles et les clubs, à Lyon les ouvriers incendient les ateliers et enfoncent les barricades. Tableau de formation du prolétariat lyonnais:

Novembre 1831 fut l'insurrection des ouvriers lyonnais contre ceux pour le compte desquels ils avaient fait la révolution: la bourgeoisie moyenne, industrielle et commerçante, à qui Charles X venait de retirer le droit de vote.

Ce fut la première grande bataille ouvrière. "Elle constitue une expérience déterminante non seulement en France, mais dans le monde entier" selon l'historien Eugène Tarlé. Le souvenir du recul des autorités devant les occupants de l'Hôtel de Ville restera pour les ouvriers le souvenir d'une victoire définitive, qui change les lois de l'atelier.

Moins de deux ans et demi après Novembre, en Avril 1834, éclate une seconde insurrection, nettement républicaine celle-là. A peine un millier d'ouvriers, mal armés, tiennent tête à une garnison au moins cinq fois plus forte, tout au long d'une "sanglante semaine". La confrontation entre la réflexion républicaine et la pratique ouvrière équivaut à l'antithèse grandiose mais simpliste, opposant "la maladie politique contre la maladie sociale". Dans les deux cités françaises en proie à l'état, la même lueur de fournaise, une pourpre de cratère au fond du peuple".

A cette époque, pour l'agglomération lyonnaise, on recense de 175 à 180000 habitants, dont environ la moitié vit du tissage de la soie, une industrie qui réagit alors aux plus petites fluctuations du marché. C'est la raison pour laquelle, à Lyon, les travailleurs ont pris, plus tôt qu'ailleurs, conscience de l'antagonisme entre le capital et le travail.

Dans le coeur de ces Canuts la haine grandit contre les exploiteurs. Ils forment entre Rhône et Saône la corporation la plus remarquable et la plus instruite, avec les ouvriers du Livre. Rêveurs avec des explosions de violence, ils ont commencé à s'organiser. Au même moment, un chef d'atelier nommé Charnier, parlera de sa corporation comme on définirait aujourd'hui avec le plus d'exactitude possible l'esprit de "l'être lyonnais": Apprenons que nos intérêts et notre honneur nous commandent l'union. Si ce n'est pas par amour pour autrui, que ce soit au moins pour nos intérêts particuliers. Vous savez combien les timides sont nombreux parmi nous. La timidité, vous ne le savez que trop, est le type du Canut. Nul autre profession n'est si peu ouverte que la notre".

Le 21 Novembre 1831 plus d'un milliers d'ouvriers se rassemblent sur le plateau de la Croix-Rousse, entendant faire respecter l'exécution des nouveaux tarifs. Dix mille attendent sur la place Bellecour. Et ils sont des centaines à la Guillotière. Les Canuts s'élancent avec leurs poings nus, avalant les pentes en contraignant les Autorités présentes à la retraite anticipée. En réponse le préfet invite les "honnêtes gens" à ne pas se mêler au mouvement des "mauvais sujets".

De chaque fenêtre les ménagères crient "Aux armes, aux armes, les Autorités veulent assassiner nos frères." De chaque maison sortent des combattants armés de pelles, de pioches, de bâtons et des étais de leurs métiers à tisser en hurlant: "Du pain ou du plomb!"

Ceux qui n'ont pas d'armes transportent des pavés aux étages supérieurs des maisons ou sur les toits dont ils arrachent les tuiles. Des barricades de voitures s'élèvent rapidement aux quatre coins de le Presqu'île, des bateaux sont renversés sur les quais formant autant de barrages de distance en distance.

Le premier coup de feu retentit montée Saint-Sébastien, la bataille devient acharnée.


Extrait de Fernand Rude "Les Révoltes des Canuts, 1831-1834".
Éditions La Découverte,
9 Bis Rue Abel-Hovelacque,
75013 Paris